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Thierry des Lauriers sourit d’avoir même à se désespérer de la générosité des Parisiens.
            « S’il est sympa, le SDF qui s’installe dans un quartier n’a quasiment plus à bouger de son
            carton, on lui apporte de quoi manger et s’habiller. Un jour, je discutais avec l’un d’eux.
            Une dame vient lui serrer la main. “Il est usé votre manteau, c’est quoi déjà votre taille ?”
            Et elle revient un peu plus tard avec chemise, pantalon, chaussures. C’est beau, mais cela
            installe les personnes dans la rue. »





            Ce qui, en revanche, commence à faire cruellement défaut à Paris, c’est l’espace. Place de la
            République, voies sur berge… la ville en s’embellissant pousse les SDF toujours plus loin.
            On peut arpenter les quais de Seine à pied d’un périphérique à l’autre sans plus voir un
            matelas, un vieux canapé, une construction en carton, un Caddie rempli d’affaires. Sophie
            Ladegaillerie, présidente de la Péniche du cœur, fait le même constat. « Peu à peu, les
            arrondissements se rénovent et chaque mètre carré se construit. Cela commence à poser
            des problèmes pour la distribution des repas. Avant, les mairies nous mettaient à
            disposition des friches ou des bâtiments désaffectés, mais ces lieux deviennent rares, les
            associations se les disputent. On arrive au bout de l’espace parisien, peu à peu tout se
            remplit. »





            Et un jour on réalise, en allant prendre un avion à Roissy, qu’il faut désormais parler de
            bidonvilles aux portes de Paris. Il y en a aux flancs du périphérique, sous les échangeurs, le
            long des voies de RER, dans les bois jusqu’en forêt de Rambouillet. Il y en a de très
            construits, ceux des Roms dont les communautés organisées sont inventives et mobiles.
            Évacué il y a peu, le village de cabanes parfaitement alignées de part et d’autre d’une voie
            désaffectée le long du boulevard Ney est à nouveau habité. Il ne se signale que par une
            échelle adossée à un mur, une échelle faite de bouts de bois récupérés et retenue par un
            câble électrique : frêle point de franchissement entre deux mondes qui s’ignorent.

            Une fumée de feu de bois s’élève du mur sous la pluie fine. Je n’ai pas longtemps à attendre
            avant de voir surgir un homme avec un Caddie, puis une mère et sa fille portant, attachées
            à la taille, d’énormes bonbonnes vides en plastique. En repartant, je croise deux femmes
            âgées sortant du tram avec des valises à roulettes. Elles grimpent à l’échelle dans leurs
            longues jupes et sont aussitôt happées par le camp, sorte de tour de passe-passe que j’ai
            l’impression d’être la seule, parmi les passants, à avoir surpris. Sur les panneaux qui
            recouvrent complètement les grilles un peu plus loin, porte de la Chapelle, on découvre
            presque grandeur nature les jardins et immeubles tout en balcons du quartier Chapelle
            International qui va se construire sur l’ancien site ferroviaire. Le village rom y passera plus
            sûrement qu’avec l’intervention de la police.
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