Page 8 - honte
P. 8
sortie d’une supérette. Ce qu’elle réussit à récolter en trois mois lui permet non seulement
de vivre, mais aussi d’économiser de quoi rentrer en Roumanie et entretenir sa famille
pendant deux mois. Ça nous interroge sur nos standards. »
Le 17 octobre dernier, le centre d’hébergement pour SDF qui va ouvrir prochainement en
bordure du bois de Boulogne prenait feu. Un incendie volontaire, qu’on imagine volontiers
être le fait d’habitants du quartier, tant la contestation contre le projet y a été véhémente.
J’entendais un matin les arguments des opposants au projet, des arguments économiques
dont on a assez dit qu’ils étaient choquants, mais j’entendais aussi autre chose : des voix
tremblantes de gens braqués désespérément contre un présent qu’ils n’arrivent pas à voir
comme le leur. Car on ne pourra pas, on ne peut déjà plus, se barricader dans ses beaux
quartiers, dans un temps arrêté. Ce n’est tout simplement pas tenable, ce n’est en aucun
cas un projet.
Il faudra bien changer de logiciel, disait Anne Hidalgo sur Inter à un auditeur exaspéré par
la fermeture des voies sur berge. Il faudra certainement les changer tous. Ma génération,
née dans les années soixante, et celle de mes parents manquent peut-être de l’imagination
et de la générosité nécessaires, elles ont été trop gâtées. Mais j’ai confiance en celle de la
petite Rose, qui aura vu les SDF et les tentes à hauteur de poussette, et se fera sans doute
une autre idée de ses standards de vie et de sa zone de confort.
Pascale Kramer, écrivain
Le UN
N°128
02 novembre 2016