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L’EFFROI ET LA HONTE
Pascale Kramer, écrivain
par Yann Kebbi, illustrateur
C’est un soir en plein mois d’août, dans Paris à l’abandon, quai des Célestins. Un homme
est étendu sur le dos, en travers du trottoir. De loin, on le croirait mort ou tombé sans
connaissance. En fait il somnole, ivre. Il entrouvre les yeux en sentant ma présence,
m’adresse un sourire d’une invraisemblable douceur, articule quelque chose que je ne
comprends pas. Il doit avoir trente ans, il est blond, joli garçon. « C’est dangereux de rester
là, vous êtes sur la piste cyclable. »
Je crois qu’il me tend la main pour que je l’aide à se relever, mais quand je m’en saisis, il la
retire. Ce qu’il veut, c’est me caresser la joue, non pas pour me remercier, plutôt pour me
consoler, dirait-on, moi qu’il voit peinée au-dessus de lui. La situation est un peu inouïe, je
ne sais plus trop que faire. Un autre homme s’est approché, c’est le copain du premier. Il a
pas mal bu lui aussi. Je lui dis qu’il faudrait appeler le 115, qu’on ne peut pas le laisser là. Il
en convient. « Mais après comment je fais, je ne peux pas le porter sur mon dos. » Certes.
Un couple s’est arrêté également, des habitants du quartier qui comme moi font un tour
après dîner. Il faut appeler les pompiers, s’insurge la femme. Elle parle d’une voix forte,
comme si elle avait besoin de s’entendre agir. Depuis le seuil de l’épicerie juste à deux pas,